Messagepar canto7king » 16 Aoû 2024 3:18
Comment les fissures dans le récit initial de la plaignante ont conduit à la remise en liberté d'Auradou et Jegou.
La remise en liberté sous condition d'Hugo Auradou et Oscar Jegou, décidée lundi par les magistrats, a été motivée par des contradictions apparues dans les dépositions de la plaignante et les images de vidéosurveillance, relevées dans plusieurs documents rédigés par les procureurs.
Le 12 août, le parquet de Mendoza a décidé de ne pas prolonger la détention provisoire d'Hugo Auradou et Oscar Jegou, mis en examen pour « viol avec violence en réunion ». Dans ses motivations, il évoque les « contradictions internes et périphériques évidentes dans le récit de la plaignante ». Trois jours plus tôt, dans un document dont L'Équipe a pu prendre connaissance, rédigé par Orieta Daniela Chaler, procureur en chef de l'Unité de poursuite des délits contre l'intégrité sexuelle, laquelle précise avoir assisté aux auditions de la plaignante (le 6 août) et des accusés (le 08 août), il est mentionné que « la première version fournie par la plaignante a été affaiblie par divers éléments de preuve qui ont été versés au dossier et qui ont révélé une série de contradictions en ce qui concerne la mécanique de l'acte et l'existence d'un consentement, qui sont pertinentes et ne peuvent être ignorées par le ministère public ».
Si le sens du vent a changé en l'espace de 36 jours, c'est que le récit initial de la plaignante (une femme de 39 ans que nous appellerons S.) s'est désagrégé aux yeux des magistrats. Ce premier récit a servi d'unité de mesure à tout le reste, et cela est absolument normal. Comme le rappelle le parquet de Mendoza, « la doctrine et la jurisprudence reconnaissent que, dans ce type de crime qui se déroule dans l'intimité et hors de la vue des tiers, la preuve pertinente est la déclaration du témoin naturel des faits, c'est-à-dire la victime présumée, dont la persistance dans le temps, la corroboration périphérique de ses déclarations et l'absence d'incrédulité subjective due à des motifs fallacieux sont également appréciées aux fins de la considérer comme une preuve concluante. »
Au commencement de l'affaire de Mendoza, il y a donc le premier récit de S., répercuté dans les médias à partir du 8 juillet. Le 7, quelques heures après les faits ayant eu lieu dans la chambre 603 de l'hôtel Diplomatic entre 5h30 et 8h26, elle dépose une plainte que la procureur Chaler qualifiera « d'assez longue, complète, détaillée et qui correspond, pour l'heure, aux conclusions médico-légales ». Pour l'heure.
Dans sa première déposition, la plaignante indique qu'elle n'a « consenti à aucun acte sexuel », ni avec l'un ni avec l'autre. « Il (Auradou) m'a jetée sur le lit ; je lui ai demandé qu'il me laisse aller chez moi - s'il [te] plaît - mais il hochait la tête et me disait que non. (...) Il a commencé à m'étrangler, m'a donné des baffes au visage et a abusé sexuellement de moi à plusieurs reprises sans utiliser de protection. Après, ils (Auradou et Jegou) m'ont obligée à me mettre à genoux sur le lit. Pendant que le brun (Auradou) m'obligeait à lui sucer le pénis, le blond (Jegou) m'a pénétrée par le vagin. (...) Le brun m'a étranglée, me tenait dans le lit en croisant mes jambes, ne me laissant pas la possibilité de partir. » Nous sommes le 10 juillet et l'avocate de S., Me Natacha Romano, déclare à la presse : « Il (Auradou) l'étrangle et lui met un coup de poing dans l'oeil, dont elle a toujours la marque. Elle a des morsures, des griffures dans le dos. Des coups sur la poitrine, les jambes, les côtes. » Dans la presse argentine, Me Romano évoque « des actes de sauvagerie ». Dans ses auditions, S. utilise aussi le terme « sauvage ».
Repartons au début, et à la rencontre entre S. et Hugo Auradou dans le carré VIP de la boîte de nuit Wabi Fun Club. Elle le trouve « mignon », trouve aussi qu'il ne fait pas son âge, « plutôt 30-35 ans », dira-t-elle dans son audition. Dès ce moment-là, au Wabi, la plaignante perçoit un comportement de nature inquiétante chez Auradou. « Il a essayé de m'emmener de force à trois reprises dans des toilettes différentes de la boîte de nuit, déclare-t-elle le 7 juillet, une déclaration qu'elle confirmera dans son audition devant les procureurs le 6 août. Quand j'ai vu ses intentions, Dieu merci il y avait des femmes à la porte de toutes les toilettes. J'ai dit à la femme de sécurité qui était là : "Ne me laissez pas passer." Avec ma tête, je lui faisais signe, je lui ai dit en espagnol parce qu'Hugo ne comprenait pas l'espagnol. Il n'était pas satisfait. Après, il a essayé de me forcer à entrer dans les toilettes des hommes, et après dans des toilettes du rez-de-chaussée. Je me retrouve alors dans la même situation et je fais la même demande aux officiers de sécurité : "Ne me laissez pas entrer, je ne veux pas avoir de relations sexuelles, je ne veux rien dans une boîte de nuit ou dans un endroit quelconque." »
S. reconnaît les baisers échangés et consentis, déclare qu'elle est à moitié ivre, qu'elle se sent étourdie - elle se demande si on n'a pas glissé quoi que ce soit dans son verre. Elle accepte d'aller boire un verre avec Auradou à son hôtel. Le parquet observe ici une incohérence. Car la plaignante a ressenti et exprimé une première contrainte (qu'elle qualifiera a posteriori d'« humiliation »), contrainte suffisamment inquiétante pour qu'elle demande de l'aide à trois reprises à des agents de sécurité, mais elle accepte de suivre Auradou dans un lieu encore plus privé. D'après nos informations, aucune image des caméras du Wabi ne permet d'authentifier les trois scènes des toilettes. Le responsable de la sécurité de la boîte a déclaré sous serment que « si cela s'était produit, il en aurait été informé. »
En route vers l'hôtel Diplomatic, S. et Auradou partagent le taxi avec un autre joueur du quinze de France, lui-même accompagné. Interrogé, le chauffeur de ce taxi évoquera « une ambiance détendue et légère ». Interrogé également, l'autre joueur n'a rien remarqué d'anormal. Quant à l'autre fille présente à bord, elle n'a pour le moment pas été retrouvée.
S. et Auradou arrivent à l'hôtel à 5h23. Pour la plaignante, les choses sont claires : elle n'est là que pour boire un verre. Les vidéos des caméras de surveillance de l'hôtel, que nous avons pu regarder, les montrent d'abord dans le hall. Puis ils se dirigent vers l'ascenseur, S. prenant la main d'Auradou sur le chemin. On les retrouve devant la porte de la chambre 603. Sur les images, d'une qualité correcte, on voit qu'ils n'arrivent pas à ouvrir la porte de la chambre. Auradou toque à la porte. S. aussi, à trois reprises. « Lorsqu'on lui a demandé pourquoi elle faisait cela, écrit le procureur en chargé de l'enquête, elle a répondu qu'elle voulait s'assurer qu'il n'y avait pas d'autre personne à l'intérieur, sinon elle ne serait pas entrée ; cette explication n'est pas cohérente étant donné qu'elle a dit qu'elle allait à l'hôtel pour continuer à boire, ce qui implique qu'elle ne voulait pas être seule avec le sujet. »
Devant la porte 603, Auradou baisse son jean et son boxer, S. reste collée à lui et semble lui indiquer la présence de la caméra d'un mouvement de tête. Auradou remonte son pantalon. À cet instant, les intentions d'Auradou paraissent claires. On le voit alors redescendre par l'ascenseur rechercher une clé. Pendant trois minutes, la caméra montre S. qui attend seule devant la porte de la chambre. Elle fume électroniquement, semble envoyer des messages sur son portable, ce qu'elle niera en audition. Il n'y a pas de signes apparents d'ébriété chez elle ni d'inquiétude. Il est 5h30. Auradou revient. Il entre dans la chambre, elle le suit. « Elle avait la possibilité de quitter les lieux ou de demander de l'aide au moment où elle était seule à attendre qu'Hugo revienne de la réception avec la carte », écrit le procureur Dario Nora.
Ce qui s'est passé pendant les trois heures suivantes dans cette chambre a échappé à toute captation vidéo. D'après le récit de la plaignante, les deux joueurs l'ont frappée et violée. « J'ai reçu un coup de poing dans l'oeil. J'ai senti les morsures sur mes seins, sur mon dos. Ils m'ont étranglée, m'ont asphyxiée jusqu'à ce que je m'évanouisse. Je l'ai frappé au visage (Auradou) pour qu'il me laisse partir parce que je pensais qu'il allait me tuer. » S. déclare qu'elle a crié, appelé à l'aide. Interrogés, les locataires de la chambre adjacente et de celle en face, les joueurs Antoine Frisch et Giorgi Beria, certifient n'avoir ni vu ni entendu quoi que ce soit qui aurait attiré leur attention.
Concernant ces trois heures de huis clos, les procureurs se réfèrent aux constatations du docteur Eliana Cecilia Sonego, membre du corps médico-légal, complétées par celles du docteur Maria Paula Anzoategui, elle aussi membre du corps médico-légal : « L'ecchymose violacée à l'oeil gauche n'a pu être causée ni par un coup de poing ni par une gifle. » Les médecins assurent n'avoir « observé au niveau du cou aucune blessure résultant d'un étranglement. (...) Ni remarqué de blessures résultant de morsures ou d'empreintes dentaires. » Le procureur ajoute : « Je ne peux ignorer à ce stade l'omission faite par la plaignante qu'elle souffre de la maladie de Von Willebrand, qui empêche le sang de coaguler correctement et qui pourrait être liée aux ecchymoses subies. Bien que S. ait affirmé en avoir parlé aux professionnels de la santé (du corps médico-légal), le seul à avoir mentionné cette pathologie est son dentiste. »
Dans son premier récit, S. indique qu'Auradou lui a arraché ses vêtements par la force. La défense fait valoir qu'après analyses, rien ne permet de dire que les vêtements ont été déchirés ou distendus. « Elle dit qu'elle ne s'approche pas de l'accueil lorsque Hugo parle à la réceptionniste alors qu'il est clair qu'elle le fait, note le procureur. Elle mentionne qu'Hugo l'a prise brutalement dans le couloir, ce qui n'est pas observé ; elle dit qu'entre le moment où elle est entrée dans la pièce avec Hugo et celui où Oscar y est entré, il s'est écoulé une heure alors qu'il ne s'est écoulé que six minutes ; elle dit qu'Hugo a ouvert la porte à Oscar alors qu'on voit clairement que c'est ce dernier qui l'a ouverte à l'aide de la carte magnétique. » L'interprétation de la vingtaine de messages audio échangés entre S. - qui a refusé de remettre ses téléphones à des fins d'expertise - et son amie confidente Delfina, entre 17h11 et 19h31, fragilise aux yeux des magistrats la crédibilité du témoignage initial. En raison du ton badin des premiers échanges et parce que la plaignante « se contredit à nouveau sur le moment où elle a pris conscience de ce qui lui était arrivé et sur les moments où elle était ivre », écrit le procureur Nora.
À 8h26, la plaignante quitte la chambre, sans panique apparente. Elle n'a pas le comportement de quelqu'un qui s'enfuit. « Je suis montée dans l'ascenseur, je me suis coiffée, j'ai fait une queue-de-cheval et je n'ai rien fait parce que j'étais en état de choc », déclarera-t-elle. Dans l'ascenseur, entre Patrick Arlettaz, entraîneur du quinze de France. « On ne comprend pas non plus comment, en état de choc, elle quitte la chambre, se coiffe dans l'ascenseur, salue les clients qui entrent dans l'ascenseur », écrit le procureur. « Je vois beaucoup de monde dans le hall, j'ai commencé à paniquer à cause du nombre de personnes présentes, le personnel technique était tout habillé de la même couleur, le bleu (sous-entendu des gens liés à l'équipe de France) », déclare S. Sur les images des caméras placées dans le lobby, il n'y a personne au moment où elle quitte l'hôtel.